
Mon visionnement récent du film The Fog de John Carpenter a mis en lumière comment les Îles ont influencé mon amour du mystère et de l'étrange. Dans celui-ci, une petite communauté côtière est isolée par un brouillard peuplé de fantômes menaçants. Un des personnages du film, joué par Adrienne Barbeau, est une animatrice de radio dont le studio se trouve à l'intérieur du phare local, et dont la voix annonce la progression du brouillard alors que des événements inquiétants se déroulent.
Ce rôle de la radio dans le quotidien des gens me rappelle bien sûr la vie insulaire. Les jours de mauvais temps, de neige ou de vent, tout le monde allume sa radio pour en savoir plus. Elle constitue notre point de mire, notre pont avec le reste de la communauté. Le brouillard omniprésent dans The Fog me rappelle aussi les Îles. J'ai déjà dit combien le brouillard madelinot m'inspire : il y a quelque chose d'hypnotique à voir les gens y apparaître et disparaître lors d'une marche matinale.
Les histoires de fantômes me ramènent invariablement à notre nature de raconteurs. L'archipel a la particularité de créer, certains jours, l'impression de s'extraire du temps, de sortir du monde ordinaire pour effleurer le fantastique. Après tout, les Madelinots sont friands d'histoires de toutes sortes : cela se voit dans notre amour du conte comme dans notre littérature. L'écrivain Jean Lemieux, par exemple, joue souvent avec la proximité des gens et l'ambiance insulaire dans ses polars. La distance avec le continent forme un climat parfait pour une intrigue à huis clos, où suspects et victimes sont dangereusement familiers.
Alors que la saison automnale prend ses aises, je pense aussi à ces soirs où, adolescents, mes amis et moi nous retrouvions dans l'obscurité de la voiture d'un des plus vieux pour vironner. Au tournant de la nuit émergeaient inlassablement des histoires de lumières étranges surgies aux fenêtres de telle ou telle maison inhabitée, de tables qui bougent, de cognements énigmatiques aux portes ou d'apparitions dans le miroir. Il y avait quelque chose de délicieux dans ces histoires qui nous faisaient frissonner, entre autres parce qu'elles touchaient des gens et des lieux que l'on reconnaissait. La proximité, encore une fois, créait autour de nous une aura de mystère.
Habiter aux Îles induit un rapport singulier à l'environnement. Parce que l'horizon est vaste, parce que la nature est à la fois bienfaitrice et inquiétante (nous portons tous au moins une histoire de tragédie liée aux forces de la mer, du vent ou de la neige), nous entretenons avec elle une relation d'intrigue et de respect. Les fantômes, nous les avons souvent dans le coeur et dans la mémoire.
Le film de Carpenter s'ouvre sur un groupe d'enfants autour d'un feu de camp, qui écoutent un vieux marin raconter la légende d'un bateau échoué cent ans plus tôt sur leurs berges. J'espère que comme eux nous garderons cette attention aux histoires du passé, à ces porteurs qui allument, le temps d'une nuit, une lueur de mystère au creux de nos ventres.