Voyager de façon responsable et durable

Fabuleux mercredi

Grange après la pluie, dans un ultime rayon de soleil en fin de journée.

Le jeune Lionel ne se fait pas prier pour terminer son assiette.

La belle pointe de plaisir qui l'attend le fait se tordre d'impatience. Et de lui faire émettre qu'il en trouverait son pareil dans le moelleux d'un beignet chaud ou au coeur d'une pomme au four serait d'une absurdité! Sa mère, les deux mains dans l'eau de vaisselle, d'un oeil au moins guettera la course effrénée de son petit bout de garçon, jusqu'à ce qu'il ait tiré la lourde porte de la cabane à pépé.

L'enfant grimpe, sur le tabouret grinçant et observe son grand-père rafistoler de curieux objets. Il sait qu'il ne doit pas l'interrompe. Le soleil qui décline projette sur la table un rayon incandescent. Une poussière fine court à l'intérieur. Lionel pense aux rouleaux de brume, sur la mer, le matin. Bientôt, la brunante drapée de sa cape enveloppera le garçon en le serrant contre son corps bleu.

Le rabot crache une dernière bouclette de bois, presque aussi blonde que celles de son petit-fils. Le vieil homme range enfin ses outils. Les brins de sa barbe comme du foin sec lui couvrant le menton semblent s'embraser à la clarté du fanal.

Une brèche s'ouvre dans l'espace-temps.

Sa voix chante aux oreilles de Lionel de la même manière que s'excitent les oiseaux à la venue des homardiers. Elle charrie les joies, à la béquetée, à la tonne, et fait vivre en lui une telle considération qu'il en demeure, souvent, muet. Son grand-père joue si bien de ses mots qu'il en fait des contes à modeler. Ainsi, les frontières se chevauchent et emportent dans la foulée tout ce que Lionel peut imaginer; un univers farci de mystères, de peuplades improbables et farfelues.

Il use d'un langage coloré et mime la gigue ludique d'un être malicieux, affublé d'un sombre costume et portant sur son front d'étranges ornements. Sur son épaule, un violon plus noir que le ventre du poêle s'anime en inondant la nuit de sornettes. Derrière le châssis, Lionel jurerait voir le ciel se barioler de figures dansantes. Il entend la lune se moquer. Le vent qui gémit au travers d'une voilure spectrale. Les sabots d'une bête ceignant la cabane. Son grand-père sautille et tressaute comme s'il marchait sur des braises ardentes. Il gesticule. Il fait danser son archet de magiques façons. Le timbre est clair et le rythme soutenu. Ses doigts habiles déboulent sur les cordes et racontent. Ils exposent la volupté, la mélancolie, parfois même l'effroi ou la tragédie. Et Lionel, sur son tabouret, pas plus haut que trois choux, qui écoute de toute son âme. Et Lionel sur son tabouret, immobile, priant pour que l'heure du dodo ne vienne jamais.

Une vie fraîchement pressée, la patine d'une autre, flétrie sous galbe des années. Entre les deux, la complicité franche née du plus beau sentiment.

Un jour, lorsque sa propre voix aura mûri, que Lionel maniera lui-même ses outils, le souvenir des histoires entendues dans la cabane à pépé porteront l'estampille singulière et surtout inestimable du temps passé avec lui, sous le couvert de la brunante, le mercredi.

 

Par Monalie Lapierre

Native des Îles, Monalie a grandi en territoire madelinot. Insatiable de verdure, de fleurs sauvages, de cueillette, de cuisine, elle aime écrire; jouer avec les lettres et les mots. Lire ses aventures, c'est un peu comme prendre une bonne bouffée d'air frais.

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