Un des habitants des Îles à la situation la plus précaire est sans aucun doute le pluvier siffleur, Charadrius melodus melodus. Petit et discret, on reconnait ce limicole blanc et gris pâle de ses cousins par ses pattes et bec orange ainsi que son collier et bandeau noir. Son nom provient du cri d'alerte caractéristique que vous entendrez si vous êtes trop près à son goût, en particulier s'il protège un nid ou des jeunes. Présentement, rien qu'un peu plus de 25 couples viennent nicher au Québec et tous sont aux Îles pendant l'été. Beaucoup de dangers les guettent : prédateurs, tempêtes, dangers anthropiques...
Les pieds dans le sable et les jumelles sur les yeux, on regarde la plage de long en large à la recherche d'un petit point gris-blanc, d'un imperceptible mouvement qui trahirait une présence parmi les rochers pèles mêles. Chaque fois qu'une algue ou un nuage d'écume transporté par le vent ou même un taon bien portant traverse notre chant de vision, notre corps se crispe, on pense l'avoir trouvé - mais non. Vaincu·e·s, on abaisse nos jumelles. Pas de pluvier siffleur. On reprend le pas. Devant nous, la plage continue sur des kilomètres jusqu'à se perdre dans l'horizon. Notre emprise sur les jumelles se resserre, il faut qu'on trouve quelque chose.
Un groupe parfois hétéroclite, nous sommes réuni·e·s par le désir - non, le besoin - de faire quelque chose, c'est-à-dire de faire ce qu'on peut pour protéger nos Îles, pour conserver sa biodiversité. Presqu'aucune plage n'est épargnée : Sandy Hook, Dune du Sud, de l'Ouest, du Nord, Martinique, Étang des Caps, Pointe de l'Est... pour n'en nommer que quelques-unes. Toutes doivent être arpentées à pied dans leur entièreté. Après des heures de marche, mon esprit tour à tour hallucine un sifflement tant attendu ou part à la dérive, bercé par le chant incessant du vent et des vagues. Kilomètres après kilomètres, le temps semble arrêté. Le niveau d'eau dans ma bouteille, lui, diminue.
Soudainement, je détecte un détail sur la plage. Je m'arrête brusquement. Des traces, toutes petites, que je reconnais. Ce sont des traces de pluvier.
À peine ai-je cette réalisation que j'entends un peep ! bref, aigu et définit. Je relève la tête et regarde mes collègues : je n'ai pas halluciné ce sifflement-là. Il n'en faut pas plus pour qu'on s'équipe tous de nos jumelles. Il faut un deuxième appel de sa part pour que j'ajuste ma lunette. Je remarque son collier noir en premier, détonnant contre les rochers gris. Fier, du haut de ses pattes orange, un adulte me met comme au défi. « Continue d'avancer si tu oses », semble-t-il me suggérer, son courage contrastant avec sa taille minuscule. Il siffle à nouveau. Sous peu, voilà qu'on trouve un deuxième adulte, celui-ci au corps contre le sol.
On a officiellement un couple ! Le deuxième pluvier se lève et nous dévoile quatre petites roches sous sa croupe. C'est que les petits rochers couleur sable et tachetés sont en fait des œufs, toujours au nombre de quatre. Notre surprise et notre joie donnent bientôt suite à l'inquiétude : pas très loin du couple nicheur, on repère des traces de VTT. Il faudra construire un périmètre de sécurité dès que possible pour éviter que le nid soit écrasé. Après avoir noté nos coordonnées, on redécolle. Mon niveau d'eau est toujours aussi bas, mais mon énergie est maintenant au plafond. Mon travail vaut la peine, on va y arriver. Les pluviers continueront de siffler encore un été.